Le télétravail des frontaliers suisses post-Covid : attention à la fiscalité !

Sommaire
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    Rappel du contexte actuel

    Depuis les contraintes induites par la pandémie de Covid 19 qui a envahi la planète depuis le début de l’année 2020, le télétravail auprès des frontaliers a dû se démocratiser, notamment au sein d’emplois pour lesquels il n’avait jamais été appliqué auparavant. Les travailleurs frontaliers n’ont plus traversé la frontière chaque matin et ont pu répondre à leurs mails et traiter leurs dossiers depuis leur jardin.

    Plus d’efficacité au travail, une vie familiale plus saine avec moins de trajets et donc plus de temps en famille, que d’avantages pour l’employeur et l’employé en définitive, notamment pour les postes de bureaux.

    Avec l’accord fiscal Covid-19 conclu entre la France et la Suisse le 13 mai 2020, prolongé plusieurs fois et ce jusqu’au 31 décembre 2021, aucun changement n’est intervenu dans la fiscalité des frontaliers et pourtant le lieu de travail a carrément changé de pays !

    Cet eldorado fiscal temporaire devrait se terminer au 1er janvier 2022 et donc à compter de cette date, ce sont les règles de droit commun qui vont s’appliquer à nouveau, modifiant profondément la fiscalité des frontaliers ; si aucun accord entre la France et la Suisse n’est trouvé d’ici là.

    La fiscalité liée au télétravail : double imposition ?

    La loi fiscale de principe des travailleurs frontaliers

    La France et la Suisse ont conclu le 9 septembre 1966 une convention fiscale en vue d’éviter les doubles impositions concernant les revenus et la fortune.

    A ce titre, ils ont fixé les règles de localisation de l’impôt dans des situations où les deux États sont impliqués.

    Penchons-nous sur le cas des salariés frontaliers, particulièrement sur le canton de Genève.

    Conformément à l’article 17 de la convention fiscale, un salarié est imposé dans l’État où celui-ci exerce de manière effective son travail.

    Par conséquent, si un salarié résidant en France vient travailler en Suisse, il sera imposé en Suisse. Il en va de même dans le sens inverse (beaucoup plus rare, allons savoir pourquoi ?!).

    Cette règle s’applique de manière stricte.

    Un résident français salarié d’une entreprise à Genève réalisant un jour de télétravail par semaine sera donc imposé en France sur la rémunération perçue lors de ses jours de télétravail.

    En effet, la convention ne mentionnant aucun seuil d’application, cette règle s’applique par conséquent dès le premier jour.

    Il y aura donc deux types d’imposition pour un même salarié.

    Jours de travail sur place : Imposition dans l’État ou canton de l’employeur

    Jours de travail à domicile : Imposition dans l’État ou canton de résidence

    Nous pensons donc que cette répartition de l’impôt entre la France et la Suisse risque de modifier la quote-part d’impôt reversé par les cantons (3,5% pour Genève) aux communes françaises puisque la France percevra une partie de l’impôt des travailleurs frontaliers.

    Ces règles fiscales sont des règles de principe qui comme vous le savez souffrent de nombreuses exceptions.

    Les exceptions

    Tout d’abord, en vertu de l’article 21 de la convention, les salariés du secteur public de nationalité suisse seront toujours imposés en Suisse même en étant en télétravail.

    Par ailleurs, qu’en est-il des frontaliers vaudois, valaisans, bâlois etC. ?

    L’accord conclu le 11 avril 1983 entre la France et les cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura prévoit une imposition des salaires des frontaliers de ces cantons dans leur pays de résidence.

    Cela signifie, à titre d’exemple, que les frontaliers français travaillant dans le canton de Vaud vont être imposés sur leurs salaires vaudois en France même si le travail est effectué dans l’entreprise.

    En contrepartie, la France reverse 4.5% de l’impôt perçu au Canton de Vaud.

    Dans cette situation, le télétravail des frontaliers n’impacte donc pas les règles de l’impôt prélevé en France.

    Cependant, nous pensons que la France pourra comme pour Genève diminuer la rétrocession par suite du télétravail.

    Un exemple chiffré

    Rémi Fassol a 38 ans et est salarié frontalier du Canton de Genève. Il touche CHF 90’000.- bruts.

    Il est imposé en barème A0.

    Son poste est à 100%. Il décide de faire un jour de télétravail par semaine, donc 20% de son temps de travail. Il est affilié à la caisse d’assurance maladie suisse spéciale frontalier et paie CHF 179,5.- / mois.

    Le canton de Genève va donc imposer 80% de sa rémunération au taux de 100% de son revenu.

    La France, quant à elle, va imposer 20% de son revenu au taux de 100% de sa rémunération.

    Le taux de change est estimé à 1 EUR = 1, 08 CHF.

    • Montant de l’impôt :

    Sans télétravail :

    Impôt source Genève : CHF 13’356.-

    Avec un jour de télétravail :

    Impôt source 80% à Genève : CHF 10’685.-

    Impôt français 20% (taux de change 1,08) : CHF 2’746.-

    TOTAL = CHF 13’431.-

    En définitive, il y a donc très peu d’écart d’imposition par rapport à une imposition genevoise totale. Le volet fiscal n’est donc pas tant impactant.

    Les assurances sociales et maladie : la règle des 25% va-t-elle résister au télétravail des frontaliers ?

    La règle concernant les assurances sociales

    Il semble difficile d’envisager le télétravail à 100% en raison d’un autre problème : celui des assurances sociales (cotisations retraite, chômage, maladie, etc.)

    En effet, conformément aux règlements de l’Union Européenne CE 883/2004 et 987/2009 modifiés pour les relations avec la Suisse par le règlement CE 465/2012, un travailleur salarié ou indépendant ne peut être soumis à la législation sociale d’un seul État et ce pour toutes ses activités, il s’agit du principe d’unicité de législation en matière de sécurité sociale.

    Par principe, la législation sociale applicable est celle de l’État du lieu de travail. Comme il n’est pas possible d’avoir deux régimes proratisés comme l’impôt, un seuil de 25% est toléré.

    Pour l’expliquer plus clairement, si le salarié effectue moins de 25% de son travail ou touche moins de 25% de sa rémunération dans son pays de domicile, il restera soumis à la législation sociale du pays de son travail.

    Dans le cas contraire, par exemple pour un salarié frontalier habitant en France et travaillant sur Suisse, si celui-ci effectue deux jours de télétravail par semaine, il ne cotisera plus à l’AVS et au 2e pilier mais devra cotiser à la retraite et aux charges sociales françaises.

    L’assurance maladie

    L’assurance maladie sera alors décomptée directement du salaire brut et il ne sera plus possible de cotiser à la CMU ou au régime intéressant de la Lamal frontalier.

    La cotisation à l’assurance maladie française obligatoire entraînera la perte du régime fiscal avantageux sur les prélèvements sociaux des revenus du patrimoine (voir article traitant du sujet).

    Notre avis sur le sujet

    Ce passage aux assurances sociales françaises entraînera un coût très élevé pour l’employeur ainsi que pour l’employé (beaucoup plus de charges patronales et salariales en France.)

    Nous pensons qu’il sera très difficile de convaincre votre employeur de cotiser aux charges sociales françaises l’obligeant donc à traiter avec l’administration française et à cotiser beaucoup plus pour vous, tout en vous garantissant un salaire aussi intéressant.

    Les charges patronales suisses sont de l’ordre de 15-20% contre 42% en France.

    Au niveau de l’employé, les charges salariales suisses sont de l’ordre de 13% alors qu’elles tournent autour de 23% en France.

    Même si vous devez rajouter votre assurance maladie aux charges suisses, une Lamal frontalière ne comblera pas les 10% de différence. Cela reste à discuter pour la CMU.

    Le constat est donc peu favorable mais encore faut-il savoir si les diverses administrations vont être en mesure de contrôler si les employés sont bien sur leur lieu de travail.

    Aucune information sur les cas de contrôle n’a été explicitée jusqu’alors.

    Les autres conséquences du télétravail pour les frontaliers : plus que le statut de quasi-résident en péril…

    Perte du statut de quasi-résident, le 90% de revenus suisses de plus en plus dur à atteindre.

    En plus de la répartition de l’imposition sur Suisse et France pour les frontaliers genevois ainsi que du possible passage aux assurances sociales françaises, d’autres conséquences sont à noter.

    La réforme suisse de l’imposition à la source entrée en vigueur au 1er janvier 2021 précise que désormais pour prétendre au statut quasi-résident, les frontaliers devront avoir plus de 90% de leurs revenus imposés en Suisse.

    En cas de télétravail avec une part des salaires imposés en France, ce seuil risque de ne plus être atteint et le statut quasi-résident sera donc perdu.

    Explosion du marché immobilier

    Si le télétravail a vocation à perdurer, les employés risquent de délaisser les communes proches de la frontière pour leur logement principal, pouvant s’établir en campagne pour un meilleur cadre de vie.

    Le prix des maisons risque donc de s’envoler étant déjà très haut tout comme le montant des petits appartements que les frontaliers utiliseront comme pied à terre pour se rendre quelques jours sur le lieu de télétravail.

    Ces éléments vont peut-être contribuer encore plus au développement de la location meublée de petites surfaces à l’année ou de manière un peu moins régulière par les plateformes AirBnB.

    Des investissements peuvent donc être à envisager si vous désirez vous placer sur ce créneau.

    Baisse de la consommation dans les centres-villes et difficultés des petits commerces

    Le télétravail entraîne une perte d’activité dans les centres-villes comme Genève par exemple où les employés ne vont donc pas dépenser leur argent pour se restaurer ou autres.

    Le canton pourra-t-il toujours se permettre d’embaucher des travailleurs frontaliers si certains pans de l’activité économique pâtissent de l’absence de clients ? 

    À réfléchir…

    Conclusion

    Le monde professionnel s’est réellement transformé depuis le Covid-19 et il semble compliqué et peu intéressant de revenir à la situation antérieure. Les entreprises peuvent se décharger d’une grande part de leurs frais généraux avec le télétravail et en semblent satisfaites tout comme leurs employés moins fatigués par les trajets et souvent plus productifs.

    Il convient donc de suivre attentivement les accords fiscaux et sociaux entre les deux États et au regard de l’espace Schengen dans son ensemble pour espérer une réponse légale positive à ses mutations sociologiques.

    Pour information, un accord a été trouvé entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg pour 34 jours de télétravail à l’année le 19 octobre 2021.

    Léa Brunaud

    Fiscaliste de formation, je suis diplômée d’un master 2 en droit fiscal. Je vous aide pour vos déclarations depuis plusieurs années. Je maitrise à la fois la fiscalité française et genevoise des particuliers et suis en mesure de vous conseiller pour de l’optimisation patrimoniale et des questions de transmissions transfrontalières.

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